Deux réseaux de chaleur en un 

Les réseaux historiques de l’Esplanade et de l’Elsau sont en cours de raccordement, 6000 logements supplémentaires seront alimentés d’ici la fin de l’année 2025.

Penché au-dessus d’une tranchée creusée rue Grandidier, Mathieu Albertus désigne deux immenses tuyaux noirs. "Ce qu’on pose ici, c’est la colonne vertébrale de notre réseau", assure le directeur général de Strasbourg centre énergies (SCE), la société en charge, depuis 2022, de l’exploitation et du développement du réseau de chaleur urbain au centre-ville dans le cadre d’un contrat de délégation de service public. À quelques pas du Palais universitaire, le chantier s’apprête à changer la physionomie du sous-sol strasbourgeois. Jusqu’alors le boulevard de la Victoire marquait la frontière entre le réseau historique Strasbourg Centre-Esplanade et celui de l’Elsau. D’ici quelques semaines, ils ne feront plus qu’un. Cette opération doit permettre de moderniser, sécuriser et étendre le réseau.

Les surprises du chantier

"Ce n’est pas simple ! On doit faire passer des barres de 12 mètres sous la voie de tram du boulevard de la Victoire puis les assembler et les souder. Ce n’est pas comme un tapis qu’on déroule", détaille Nicolas Matter, responsable des travaux pour R-CUA (Réseau de chaleur urbain Alsace), actionnaire de Strasbourg centre énergies avec l’Eurométropole et la Banque des territoires. La découverte d’un ancien réseau d’assainissement et sa démolition ont ralenti l’opération de raccordement des deux branches. "On a toujours des surprises, poursuit Nicolas Matter. D’ailleurs, pour les archéologues c’est une vraie opportunité de pouvoir faire des fouilles sur un réseau qui traverse la ville de part en part". Rue du Faubourg de Pierre, une couche de terre noire a permis de localiser d’anciens canaux du temps des chasseurs-cueilleurs ; de nombreux vestiges ont été découverts sur le chantier des Halles et une quinzaine de squelettes ont été exhumés à Neudorf.

Au milieu des reliques du passé que renferme le sol strasbourgeois, les tuyaux noirs charriant de l’eau à plus de 100 degrés à l’aller, et 60 degrés au retour, vont permettre de chauffer 6000 logements supplémentaires d’ici la fin de cette année. "En 2022, au début de la délégation de service public, 25 000 logements étaient raccordés, notre objectif est de 40 000", précise Mathieu Albertus. 35 km de tuyaux ont été posés depuis 2022, dans lesquels circulera une énergie en grande partie renouvelable car alimentée par la chaleur fatale récupérée au sein d’industries locales, l’usine d’incinération du Rohrshollen et la centrale à biomasse du Port autonome de Strasbourg. Une fois effectué le raccordement avec l’aciérie BSW de Kehl, l’utilisation de sa chaleur fatale fera monter la part des énergies renouvelables à 85%. Ce sera chose faite en 2028.

Des avantages immédiats

Parmi les nouveaux bâtiments raccordés en 2024, se trouve un ensemble de la cité Spach géré par le bailleur social Néolia. "Nos prévisions indiquaient 15% de baisse de frais de chauffage, ça se vérifie sur les factures", confirme Antoine Gerber, directeur territorial patrimoine locatif Alsace pour Néolia,qui note aussi une baisse du coût de l’entretien et de la maintenance. 123 logements bénéficient du raccordement via un échangeur de chaleur situé au sous-sol, une mesure qui s’inscrit dans la politique de décarbonation du patrimoine du bailleur social.

À quelques rues, le bâtiment du Pôle européen de gestion et d’économie (Pege) et la cité universitaire de la rue de la Somme sont désormais alimentés par le réseau de chaleur, de même qu’une copropriété privée située dans la même rue. Là, les chaudières donnaient des signes de fatigue et les pièces détachées n’étaient plus produites. "Quand on nous a proposé le raccordement, on n’a pas hésité une seconde", rapporte Alain Boutté, gestionnaire de l’immeuble qui compte 38 studios et dont le quotidien sera facilité par l’inclusion de la maintenance et de l’entretien des installations, assuré par SCE, dans les charges. Les locataires profiteront aussi de la stabilité du coût de l’énergie fournie par les réseaux de chaleur, à l’abri des fluctuations pesant sur le cours des énergies fossiles au grè de l’évolution de la situation géopolitique.

Anne Dory

Photos Jérôme Dorkel